J’apitchoume mon sang.

Pour Delphine
(Allemagne)

Douleur vive et soudaine
comme un éclair qui se disperse
dans le bas du ventre, les lèvres, les cuisses,
qui se moque, acide, de moi
    La semaine prochaine,
    j’va t’sortir ton sang toé, ma caliss.

 

Mal de tête
tourner en rond
dans l’insatisfaction de tout
les pilules qui ne servent à rien
cris caustiques de la douleur
   Toé, ma maudite, tu vas pas dormir d’la nuit
  
pis tes draps… [rire diabolique] 

 

Tomber de fatigue
film sur films, à manger ogre,
entre dépression et besoin de ne rien faire
encore une provocation cinglante
   yaaaaahhhh toé, ma tabarnak,
  
j’arrive osti ! 

 

Je me lève
rouge
la douche pour nettoyer le corps
les cuisses, la vulve
l’eau chaude dans l’minou
à chanter le mélange de liquides
   … pis toi ma p’tite criss
  
laisse-moé m’faire ma journée
  
pis coule mon sang pour la semaine
  
mais pu d’douleur, j’tannée là.

 

***

Salut Delphine,

(J’avais trop à dire pour écrire juste une carte postale : ça a l’air, j’ai pas mal à palabrer su’l sang !)

J’avais envie de t’écrire sur les règles, fouille pas pourquoi. Quand j’ai eu ma ménarche (à ma ménarche ? Je t’avoue que je suis incertaine de la façon d’utiliser ce mot que j’aurais dû connaitre bien avant! D’ailleurs « ménarche » se prononce « ménarke » (!) Le suffixe -arche signifie le commencement de quelque chose, comme on pourrait dire : séménarche, thorarche, spermarche, éjacularche, polluarche pour marquer la première éjaculation du pénis. (note qu’il n’y a pas encore de pendant vulvaire.))

… donc : à ma ménarche ou quand quelques gouttes rouges sont apparues dans ma culotte au retour de l’école, c’est mon père qui, maladroitement, m’a donné une serviette hygiénique (Maxi), en m’indiquant en quelques mots comment l’attacher dans mes bobettes. Ma mère était au travail, j’aurais préféré que ce soit elle qui me montre. On ne m’avait pas dit que la première fois il n’y aurait pas grand-chose. J’ai crue à une fausse alerte, me suis sentie bête pour mon père…

Puis elles se sont imposées, peu à peu, à mon rythme de vie, les mois, les saisons. N’ont pas été trop douloureuse jusqu’à l’insertion d’un stérilet (mais sinon, merci à l’inventeurice!) . Elles ont varié avec l’âge : dépression prémenstruelle, crampes soudaines, plus longues, plus courtes, constipations, appétit de monstre ou de moineau… Je ne sais pas si je vais un jour m’habituer aux crampes randoms une semaine avant, l’envie de ne rien faire, de m’aliéner de films. Pleurer devant des vidéos de chats. Même si ça revient à tous les mois. Pis que je sais, que je vais passer plus de cinq ans de ma vie à ramasser le sang de mon vagin. 

J’ai, ou nous, avons la chance de vivre dans un pays où une bonne hygiène est possible, où être dans sa semaine est de moins en moins tabou, où avoir des produits de soin hygiénique dans des toilettes de restaurants ou de théâtres est de plus en plus fréquents, où on peut trouver des produits hygiéniques réutilisables de bonne qualité. Et surtout, où l’on n’est pas obligé de se séquestrer ailleurs pour laisser le sang s’écouler entre nos jambes.

Mon sang, il se déverse dans ma coupe, quand moi je suis en réunion, chez des gens, avec des ami.es. Il entre partout, dans les musées, à l’opéra, dans les magasins, les salles de concert, les bureaux de docteurices, les avions.

Mon sang, je peux le récupérer si je veux, en faire de l’engrais pour le jardin ou encore teindre des vêtements avec.

Je pourrais faire un Pollock en apitchoument mon sang sur une toile.

    et toi, ton sang ?

bises du Münsterland,
Neïtah

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